Flowers de Durand Jones & The Indications : la soul en héritage, l’élégance en étendard

Paru le 27 juin 2025 chez Dead Oceans, Flowers est plus qu’un simple retour de Durand Jones & The Indications : c’est une affirmation. Celle d’un groupe qui, en une décennie, a su s’imposer comme le trait d’union le plus crédible entre les années dorées de la soul orchestrée – celle des Delfonics, des Whatnauts ou de Leroy Hutson – et un présent post-streaming où la nuance est un luxe.

24/07/2025 - Stéphane Nicolas

Paru le 27 juin 2025 chez Dead Oceans, Flowers est plus qu’un simple retour de Durand Jones & The Indications : c’est une affirmation. Celle d’un groupe qui, en une décennie, a su s’imposer comme le trait d’union le plus crédible entre les années dorées de la soul orchestrée – celle des Delfonics, des Whatnauts ou de Leroy Hutson – et un présent post-streaming où la nuance est un luxe.

Une soul post-rétromania : le revival devient langage

Là où nombre de groupes estampillés “revival soul” s’enlisent dans la citation figée, les Indications composent ici un disque qui dépasse le pastiche, en faisant de la soul un langage fluide et malléable, au même titre que la house ou le jazz de chambre.

On pense aux explorations de Anderson .Paak sur Malibu, à la délicatesse synthétique de Sault, voire à la sensualité suspendue de Quiet Storm (Smokey Robinson ou Peabo Bryson en figures tutélaires). Mais chez les Indications, tout passe par le filtre d’un classicisme assumé, presque militant, comme si l’élégance analogique devenait un acte de résistance.

Une écriture mature, sans grandiloquence

Dès “Been So Long”, on comprend que Flowers s’écrira sur un tempo modéré. Pas de montées spectaculaires, pas de ruptures théâtrales : ici, le drame est intérieur, contenu dans les arrangements, dans la caresse d’un Rhodes ou la légèreté d’un backing vocal bien placé. Une écriture qui évoque plus Terry Callier que Marvin Gaye, plus Donny Hathaway que Curtis Mayfield.

Durand Jones, en particulier, s’est épuré. Moins démonstratif que sur American Love Call, il incarne ici une forme de pudeur émotionnelle, comme s’il murmurait plutôt que de prêcher. En contrepoint, Aaron Frazer continue de sublimer le falsetto avec une aisance qui rappelle Eddie Holman ou même Damon Harris des Temptations.

Production artisanale, exigence d’orfèvre

La production – signée en interne, dans le home-studio de Blake Rhein à Chicago – impressionne par sa cohérence sonore et sa science du détail. Cordes feutrées, claviers rétro-futuristes, basses moelleuses, tout est dosé avec une précision quasi cinématographique.

On retrouve cette esthétique du “minimal baroque” qu’on entend chez El Michels Affair, Thee Sacred Souls ou certains projets du label Big Crown. Une musique ancrée dans l’organique mais qui refuse la nostalgie aveugle.

Thèmes universels, voix singulières

Ce qui traverse Flowers, c’est la volonté de parler de soi sans posture, sans sur-dramatisation. Le duo Jones/Frazer, tous deux queer et désormais out, intègre cette dimension identitaire sans que cela ne devienne le centre du discours. Il s’agit ici de tendresse, de doutes, de désir – avec une forme de dignité discrète, bien plus percutante que n’importe quel manifeste.

Les grands moments du disque

  • “Lovers’ Holiday” : uptempo classieux, digne des meilleures faces B de The Chi‑Lites. Une chanson d’été pour les amoureux lucides.

  • “Really Wanna Be With You” : ballade brumeuse, où la voix de Frazer tutoie celle d’un Michael Cooper période Con Funk Shun.

  • “Flower Moon” : l’un des plus beaux slows de l’année, entre soul orchestrale et bossa hybride, rappelant certains titres de José James ou Kadhja Bonet.

  • “I Need the Answer” : moment introspectif, sobre, dans la veine des titres les plus dépouillés de Bill Withers.

À écouter en vinyle, impérativement

Parce que cette musique a été pensée, conçue et enregistrée pour vivre dans le sillon, Flowers s’apprécie dans sa forme la plus noble : le vinyle. L’album est disponible en pressages colorés (Blue Iceberg, Green Splatter) et, bonne nouvelle, le mastering analogique respecte la dynamique du mix original, avec un grave profond et une scène stéréo ample.

On retrouve ici le soin apporté aux pressages qu’on pouvait déjà saluer chez les disques de Khruangbin, de Monophonics ou du Menahan Street Band : une musique qui respire, et qui appelle à l’écoute lente, posée.

Conclusion : un disque-pivot, hors du temps

Avec Flowers, Durand Jones & The Indications signent un disque-pivot. Moins frontal que Private Space, plus intérieur que American Love Call, il impose une voix, un ton, une vision. La soul y devient espace d’introspection, de sensualité feutrée, d’intelligence émotionnelle.

Et c’est peut-être là que réside sa force : dans cette manière d’être moderne sans être tendance, rétro sans être passéiste, pop sans jamais être simpliste.

Un disque à écouter seul, à deux, ou entre mélomanes exigeants. Et à garder précieusement, entre votre original de Sweet Exorcist de Curtis Mayfield et le dernier LP de Gabriels.