Gil Scott-Heron, Rock’n’Roll Hall Of Fame, 2021

Gil Scott-Heron – Hall Of Fame – 2021
Le 30 octobre 2021, le chanteur, pianiste, poète et compositeur Gil Scott-Heron faisait son entrée au Rock and Roll Hall of Fame.

18/12/2021 - Belkacem Meziane
Hall Of Fame 2021

Gil Scott-Heron – Hall Of Fame – 2021

Le 30 octobre 2021, le chanteur, pianiste, poète et compositeur Gil Scott-Heron faisait son entrée au Rock and Roll Hall of Fame, un mois avant l’intronisation de Joséphine Baker au Panthéon. Ces deux événements n’ont pas reçu le même traitement médiatique et pour cause, Gil Scott-Heron reste un artiste plutôt méconnu en France. Pourtant depuis quelques années, son nom a suscité un regain d’intérêt notamment grâce à l’influence de sa musique et de ses textes sur l’histoire du hip hop. C’est justement dans la catégorie « Early Influence » qu’il a reçu cette distinction, tout comme les pionniers de l’électro Kraftwerk et le bluesman Charley Patton. Avant de revenir plus en détail sur le cas de Gil Scott-Heron, voici quelques précisions historiques sur cette institution.

C’est en 1983, sous l’impulsion du patron du label Atlantic records, Ahmet Ertegun, que la Rock and Roll Hall of Fame Foundation fût créée. Son but était de bâtir un musée dédié aux artistes qui ont contribué à écrire la riche histoire du rock. En réalité, ce sont toutes les grandes figures de la musique américaine (et à moindre échelle britannique) que cette institution cherche à célébrer et à rendre immortels. C’est pour cela que parmi les intronisés on trouve des artistes aussi divers que Ray Charles, James Brown, Bill Haley, Bob Dylan, Marvin Gaye, Muddy Waters, The Beatles, Jimi Hendrix, Elton John, Bob Marley, U2 ou Madonna.

Lorsqu’il fût question en 1986 de choisir l’endroit qui accueillera le musée, plusieurs villes furent envisagées : Philadelphie, Memphis, Detroit, Cincinnati, New York et Cleveland. C’est finalement Cleveland (Ohio) qui sera choisie en mémoire des liens qu’entretenait avec cette ville le célèbre DJ de radio Alan Freed à qui on attribue la popularisation du mot « rock & roll ». La première cérémonie a eu lieu le 23 janvier 1986 à New York et depuis, chaque année, une dizaine de chanteurs, musiciens, compositeurs ou producteurs importants se voient érigés au rang de légendes.

Cette année, ce furent Tina Turner, « The Queen of Rock & Roll », Carole King, LL Cool J, Jay-Z, Todd Rundgren, Billy Preston ou Clarence Avant qui ont rejoint ce club prestigieux. L’entrée de Gil Scott-Heron au Rock and Roll Hall of Fame suscite tout de même quelques interrogations. Gil était un artiste qui n’a jamais cherché à briller et qui a mené sa carrière sans se soucier des modes et des injonctions du marché. Sa poésie engagée et complexe n’était d’ailleurs pas toujours tendre avec le show-business et l’industrie musicale. Lui qui a été surveillé par le F.B.I et boycotté par certaines radios se retrouve aujourd’hui célébré comme un héros de l’histoire de la musique américaine.

Sur le titre qui l’a révélé, « The revolution will not be televised » (1970), Gil prévient ses contemporains que la révolution ne passera pas à la télévision et qu’elle ne fera pas l’objet d’un film avec Natalie Wood et Steve Mc Queen. Il leur dit aussi que ce n’est pas en regardant des publicités pour Coca-Cola, Rank-Xerox ou Dove qu’ils prendront part au changement. La révolution se vivra dans la rue, c’est pourquoi il les exhorte à éteindre leur petit écran. Dans ce texte qui vise d’abord la télévision et la publicité, Gil critique tout un système médiatique et culturel duquel il a toujours préféré ne pas trop s’approcher. Dix ans plus tard, sur le titre « Show bizness » (1980), il chante toute la méfiance qu’il témoigne à l’égard d’une industrie qui, en plus de formater les artistes, s’enrichit sur leur dos. « Ain’t no new thing » sur l’album Free Will (1972) est sans doute le texte de son recueil qui attaque le plus frontalement l’industrie musicale. Selon ses mots, les blancs ont commis un « viol culturel » (cultural rape) en pillant constamment la musique noire. Pour lui, Chuck Berry était le roi du rock & roll mais les blancs, ne supportant pas de voir leurs filles danser sur de la musique jouée par un noir, ont créé Elvis Presley. Il fait le même parallèle avec le jazzman Benny Goodman ou le soulman Tom Jones.

Gil a donc entretenu toute sa vie cette indépendance et cette liberté de ton face à la commercialisation et l’institutionnalisation de la musique. Il n’a reçu quasiment aucune récompense de son vivant. Depuis son décès en 2011, il a déjà reçu le Grammy Award pour l’ensemble de sa carrière, ce qui fût déjà une bien belle consécration, mais en entrant au Rock and Roll Hall of Fame, il rejoint la longue liste des artistes désormais « intouchables ».

Qu’aurait-il pensé de tout cela ? Aurait-il accepté cette récompense ? Personne ne peut savoir mais ce que l’on peut dire c’est que son fils Rumal Rackley, venu recevoir le prix à la place de son défunt père, ne cache pas la fierté et l’honneur qu’il ressent de voir enfin l’œuvre de son père reconnue comme majeure. Pour lire le discours d’intronisation, plusieurs choix étaient possibles puisque de nombreux artistes se réclament de son héritage : Chuck D, KRS-One, Mos Def, Talib Kweli, Michael Franti ou José James. Finalement, c’est le rappeur Common qui a été choisi et il est plus que légitime puisqu’il est l’un des représentants les plus illustres de ce qu’on nomme le rap conscient, un courant directement inspiré de la poésie engagée de Gil. Il a d’ailleurs utilisé un sample de « Winter In America » de Gil sur « The People » tiré de l’album Finding Forever (2007) avec le chanteur Dwele en invité.

Cette reconnaissance posthume revient bien-sûr d’abord à Gil Scott-Heron mais aussi aux personnes qui ont construit avec lui cette œuvre si originale : Brian Jackson, le pianiste et flûtiste qui l’a accompagné pendant plus de dix ans et qui l’a aidé à mettre ses textes en musique, The Last Poets, un groupe de poètes noirs de New York qui l’a fortement inspiré à ses débuts ainsi que tous les musiciens de The Midnight Band et Amnesia Express, les deux groupes qui l’ont accompagné sur scène durant ses quarante ans de carrière.