Prince – Sign ‘O’ The Times Super Deluxe

De son vivant, Prince a toujours aimé cultiver le mystère. Déjà en 1981, il ironisait sur la perception que se faisaient de lui le public et les médias. « Suis-je noir ou blanc ? Suis-je hétéro ou gay ? ». Durant de nombreuses années, il ne donnait que très peu d’interviews.

01/02/2021 - Belkacem Meziane

PRINCE
SIGN ‘O’ THE TIMES SUPER DELUXE

De son vivant, Prince a toujours aimé cultiver le mystère. Déjà en 1981, il ironisait sur la perception que se faisaient de lui le public et les médias. « Suis-je noir ou blanc ? Suis-je hétéro ou gay ? ».

Durant de nombreuses années, il ne donnait que très peu d’interviews. Dans les années quatre-vingt dix, il choisit de ne plus se faire appeler Prince à cause des conflits avec son label Warner Bros. Il opte pour un symbole imprononçable à la place, le fameux Love Symbol, et s’invente une série de pseudonymes (The Artist Formerly Known As Prince, Tora Tora…). Tout au long des années quatre-vingt, il se créé des alter-ego (Jamie Starr, Joey Coco, Alexander Nevermind…) pour produire incognito d’autres artistes. Musicalement, il a toujours évité d’être enfermé dans un genre. Bien que le funk est l’essence principale de sa musique, Prince a tout joué et tout mélangé avec un singularité incroyable.

L’un de ses plus grands mystères reste « The Vault », ce coffre-fort dans lequel il a stocké des milliers d’heures de musique inédite, enregistrée en studio ou en live, seul ou avec ses musiciens et qui se trouve dans ses studios de Paisley Park à Chanhassen, près de Minneapolis. Depuis le milieu des années quatre-vingt et le début de la circulation des enregistrements pirates, les fans du monde entier savent qu’ils n’ont accès qu’à une infime partie de son œuvre non-officielle et rêvent d’écouter un jour tous les trésors qui y sont précieusement cachés.

Depuis le 21 avril 2016, jour de sa mort, NPG Records et Warner Bros ont contenté l’appétit insatiable des fans en sortant plusieurs disques contenant des albums et des maxis officiels, des titres inédits déjà parus en version pirate et d’autres totalement inconnus. Parmi ces sorties, deux albums incontournables ont déjà fait l’objet de rééditions vinyles en version Deluxe : Purple Rain et 1999. En plus des albums remastérisés, les fans ont pu se régaler avec de nombreux inédits et même deux concerts de 1982 en audio et en dvd sur le coffret 1999.

Mais cette année, ceux qu’on a pris l’habitude d’appeler « l’Estate », c’est à dire les personnes  possédant les droits d’exploitation du catalogue de Prince, ont frappé encore plus fort en rééditant ce qui est considéré comme son plus grand album, Sign ‘O’ The Times. Avec ce double album sorti en 1987, Prince a définitivement marqué de son sceau la décennie. Plus personne ne conteste son statut de génie et d’artiste le plus influent du moment. Chanteur, compositeur, guitariste, pianiste, bassiste, batteur, danseur, chorégraphe, designer, réalisateur et businessman redoutable, Prince est le musicien le plus complet de toute la pop music. En plus de tous ces talents, il se frotte à tous les styles, prouvant à quel point il a compris l’héritage des plus grands, de James Brown à Miles Davis en passant par Jimi Hendrix, Santana, Sly & The Family Stone, The Beatles ou Joni Mitchell.

Le coffret est composé cette fois-ci de 8 cd, soit 13 vinyles, et d’un dvd, le tout accompagné d’un livret de 120 pages. L’album remastérisé est agrémenté des faces B et maxis officiels sortis à l’époque dont les formidables et ultra-funky « Housequake (7 Minutes Mo Quake) », « La, La, La, He, He, Hee » ou « Shockadelica » qui ont bâti sa réputation de légende du funk. Ce sont ensuite trois disques complets d’inédits et de versions « alternate » qui complètent le matériel officiel. Mais Prince était aussi un showman, une bête de scène qui a passé sa vie à donner des concerts dans des grandes salles comme des shows plus intimistes dans des clubs. C’est pour cela que l’Estate ne pouvait éviter  de publier un concert audio de cette fabuleuse tournée enregistré à Utrecht et un dvd d’un concert filmé dans ses studios du Paisley Park le 31 décembre 1987 avec un invité de marque : Miles Davis. Des trois coffrets Deluxe, Sign ‘O’ The Times est le plus complet.

Revenons sur quelques détails concernant les conditions d’enregistrement et de sortie de l’album officiel. En réalité, l’album est une compilation de titres choisis dans une multitude de sessions enregistrées entre 1986 et 1987. En pleine ascension après son album Parade qui est plus ou moins la B.O de son film Under The Cherry Moon, il se lance dans plusieurs projets d’albums qui resteront inédits. Dream Factory puis Camille et enfin Crystal Ball ne verront jamais le jour. Ceci est du en partie à la dissolution de son groupe The Revolution avec qui il tournait depuis des années et avec qui il enregistre une partie des titres mais aussi au refus de Warner de produire le triple album Crystal Ball. En 1987, on sort encore des disques en format vinyle et un triple album a un coût de fabrication et de promotion tel que Warner ne veut pas prendre le risque d’un échec.

Prince ne s’avoue pas vaincu et pioche dans ces trois albums la totalité des titres de Sign ‘O’ The Times. « The Ballad Of Dorothy Parker », « Strange Relationship », « It », « Starfish And Coffee »,  « Slow Love », « I Could Never Take The Place Of Your Man », « Sign O’ The Times », et « The Cross » viennent de Dream Factory, « If I Was Your Girlfriend » et « Housequake » sont issus de Camille et enfin « Play In The Sunshine », « Hot Thing », « Forever In My Life », « It’s Gonna Be A Beautiful Night » et « Adore » étaient prévus pour Crystall Ball. Il n’y a que « U Got The Look » avec la chanteuse Sheena Easton qui n’était intégré à aucun des trois projets. Parmi tous ces titres, certains comme « Strange Relationship » et « I Could Never Take The Place Of Your Man » datent d’avant 1986. Prince, dès le début de sa carrière, compose et enregistre beaucoup et stocke les chansons sans toujours savoir sur quel album elles finiront.

Ce sont donc ces seize titres qui sont choisis et qui, réunis sur quatre faces, montrent l’ampleur de son talent mais aussi l’univers très personnel de ce génie. Ses textes parlent d’amour, de sexe, de religion ou de politique. Sur le hit « Sign O’ The Times », il dépeint de manière sombre son époque marquée par le sida, les guerres des gangs et la course à l’armement. « It » ou « Hot Thing » sont dans la même veine pornographique que ses anciens hits « Head » ou « Darling Nikki » qui est à l’origine du sticker « parental advisory ». Sur « The Cross », il chante sa foi en Dieu et dans la religion chrétienne. Rares sont les artistes qui chantent avec autant de conviction Dieu et le sexe !

Ce qui est d’autant plus frappant, c’est la cohérence qui existe dans sa musique. Il peut passer du funk le plus dur avec « Housequake » au rock le plus ambitieux sur « Play In The Sunshine » en passant par la ballade jazzy et langoureuse avec « Adore ». L’utilisation des synthétiseurs, des boîtes à rythmes, des nappes d’orgue, des orchestrations de cordes ou des cuivres jazzy se marient avec maestria. Ce qui peut paraître comme un collage d’influences chez certains relève chez lui d’une parfaite assimilation des styles et d’un fin dosage.

Cette maîtrise, il l’acquiert avec une abnégation et un travail acharné. Il passe son temps dans ses studios à jouer de tous les instruments, à parfaire son jeu de guitar hero, à élaborer des danses calquées sur James Brown mais avec un côté sexy et parfois féminin. Lorsqu’il ne convoque pas ses musiciens pour faire tourner les grooves et atteindre la perfection, il reste seul dans le studio à écrire sa version de l’histoire de la pop. Il expérimente, se perfectionne dans les nouvelles technologies, crée des textures de son inédites, compose dans différents formats vocaux ou instrumentaux. Avec sa tessiture allant du plus grave au plus aigu, il s’amuse à empiler les voix comme une chorale et invente des techniques d’harmonisation vocale.

Avec toutes ces compétences et cette force de travail, il est donc normal qu’en parallèle à ces seize titres officiels, il conçoit une œuvre aussi pharaonique. Les disques 4,5 et 6 contiennent pas moins de quarante-cinq titres inédits finalisés et qui auraient pu sortir en l’état. Il y a bien-sûr toute une partie des titres qui étaient déjà en circulation sous le manteau depuis très longtemps. « Crystall Ball », « In A Large Room With No Light », « Witness For The Prosecution », « All My Dreams », « Crucial », « The Ball », « Soul Psychodelicide », « Power Fantastic », « A Place In Heaven » ou « Can I Play With U » avec Miles Davis, n’ont pas surpris les fans les plus hardcore qui les connaissent déjà par cœur mais parfois dans des versions différentes. Par contre, pour ce qui est des escapades jazz-funk de « It Ain’t Over ‘Til The Fat Lady Sings » ou « And That Says What ? », des mélodies pop dans le style de The Beatles de « Everybody Want What They Don’t Got », du funk cuivré de « I Need A Man » ou du gospel rock de « Walking In Glory », même les plus acharnés avouent avoir été soufflés.

Sur les disques 7 et 8 figure le concert de Utrecht en Hollande, enregistré durant une tournée uniquement européenne. La set list est quasiment entièrement composée de titres de l’album auxquels il ajoute des hits antérieurs (« 1999 », « Little Red Corvette », « Let’s Go Crazy », « When Doves Cry », « Purple Rain », « Kiss », « Girls & Boys »). Dans chaque concert, il s’absente un moment pour se changer et laisse ses musiciens jouer sur un instrumental jazz. Habituellement, c’est le standard « Now’s The Time » de Charlie Parker. A Utrecht, il leur offre en exclusivité un instrumental intitulé « Four », qui paraît l’année suivante sur un album crédité au groupe Madhouse et qui est en fait un album jazz-funk enregistré avec son saxophoniste et flûtiste Eric Leeds. Prince y enregistre tous les autres instruments. Le dvd du concert enregistré au Paisley Park le soir du 31 décembre 1987 est à cheval entre la tournée Sign ‘O’ The Times et celle qui suivra autour de l’album Lovesexy. Il rôde déjà les enchaînements, jamme sur ce qui est bien maîtrisé, allonge les plages solos. Miles Davis, un admirateur de luxe, se joint à la fête et pose le son de sa légendaire trompette sur  « It’s Gonna Be A Beautiful Night ».

Pour l’assister en live, Prince s’entoure d’un groupe de musiciens redoutables, aguerris à tous les styles et capables de reproduire la formidable musique qu’il a en tête : la belle et talentueuse Sheila E. à la batterie, le vieux complice Dr Fink aux claviers, Levi Seacer (basse) et Mico Weaver (guitare) les anciens rythmiciens du groupe de Sheila E., la chanteuse gospel/soul Boni Boyer et la section cuivres constituée de Eric Leeds (saxophone) et Atlanta Bliss (trompette). Pour l’assister aux chœurs et à la danse, on trouve les survivants de The Revolution Greg Brooks et Wally Stafford et la nouvelle venue, Cat. Avec une équipe aussi soudée et réagissant au moindre signe du patron, Prince peut se vanter, comme il le faisait fièrement, d’avoir « the baddest band in the land » !

Malgré la masse de titres de cette qualité à écouter, certains fans attendent déjà la prochaine réédition. Mais lorsqu’on lit les commentaires sur les forums et sites spécialisés dans la carrière de Prince, beaucoup disent qu’ils ont mis un temps à tout bien digéré et qu’ils ont encore de quoi patienter. Certains ont privilégié la version 8 cd, d’autres ont préféré le format vinyle ou même la version digitale.

Quoiqu’il en soit, ce fût pour tous la sortie événement de l’année 2020 !